Petite fiole mais grand pouvoir

L’Eminent Omerith était un vieil homme plutôt bien conservé. Il se tenait droit, la tête fièrement relevée, les mains jointes dans les larges manches de son manteau. Il portait une tunique propre à sa fonction auprès de l’Empereur : une grande robe blanche, brodée d’or et d’argent, aux manches larges et dont la pointe de la capuche touchait presque le sol. Sa longue barbe blanche lui donnait l’aspect d’un vieux sage. Ce qu’il était à n’en point douter.

Il regarda avec satisfaction les murs épais autour de lui. Ils formaient une pièce octogonale, chaque angle étant agrémenté d’une colonne finement sculptée et recouverte de feuilles d’or. Les murs avaient été blanchis à la chaux et le sol de marbre recouvert d’un épais tapis rouge, de magnifique facture. Derrière Omerith, s’ouvraient deux grandes portes de granit, épaisse de cinquante centimètres. Il était impossible pour un humain normal de les ouvrir seul. C’est pourquoi, des Gardes venus des Terres conquises du Nord en gardaient l’entrée. Ces hommes mesurant plus de deux mètres possédaient une force colossale et étaient de très bon Gardes du corps.

Ordinairement, cette salle servait à entreposer des trésors fabuleux. Mais aujourd’hui, elle contenait un trésor capable de faire gagner la guerre à l’Empereur dans les Terres de l’Est.

– Eminent, l’appela l'Insigne Korvi, son apprenti d’une quarantaine d’années, pourquoi être venu ici ? Le plan n’est-il pas censé être exécuté le mois suivant ?

L’Eminent lui jeta un coup d’oeil. L’Insigne Korvi était un homme intelligent. Bien entendu, sinon il n’aurait pas été choisi pour devenir son disciple. Cependant, Omerith était contrarié. Car Korvi était un traitre. Il l’avait découvert deux jours plus tôt, alors qu’il lui avait tendu un piège malin sans que Korvi ne s’en aperçoive. Il était maintenant temps de se débarrasser de cette désagréable épine dans le pied.

– S’il vous plaît, Korvi, commença Omerith, pourriez-vous me dire ce que contient cette fiole ?

Korvi sembla surpris par cette question. Evidemment, puisqu’ils avaient mis au point le plan de conquête ensemble.

– Elle contient un puissant poison capable de décimer un pays entier en quelques semaines.

Omerith hocha la tête, l’air distrait. Pour être exact, une fois ce poison administré à un sujet, il se rependait rapidement à ses congénères. En deux semaines, cinquante pourcents de la population serait infectée et périrait en quelques jours. En un mois, quatre-vingt-cinq pourcents de la population serait infectée. Et en un mois et demi, tous ces gens seraient morts, les villes et les villages désertés, les survivants affaiblis et facile à soumettre, et la maladie se serait envolée.

– Vous savez, évidemment, pourquoi il est ici et qui le garde ?

– Ce flacon est le seul encore intact. Trouvée dans un tombeau très ancien, c’est la seule fiole dont le contenu a gardé ses propriétés. Elle est donc unique au monde. Et extrêmement dangereuse.

– Oui, acquiesça l’Eminent, et vous n’avez pas pu vous empêcher de divulguer ces informations d’une importance capitale à notre ennemi.

Korvi ouvrit la bouche d’un air hébété.

– Je vous en prie, Eminent, de tels propos sont si graves, bredouilla-t-il.

Omerith secoua la tête d’un air désapprobateur.

– Le mensonge ne vous sied guère, Insigne, vos joues deviennent rouges et vous bafouillez comme une demoiselle à son premier rendez-vous.

Korvi était littéralement cramoisi. Omerith était déçu. Il lui semblait quand même l’avoir instruit mieux que cela. Une véritable déception, que dire ? Une perte de temps ! Omerith tapa dans ses mains et deux gardes gigantesques entrèrent dans la grande salle. Leurs mains énormes s’abattirent sur les épaules de l’Insigne Korvi qui les regarda les yeux exorbités.

– Par pitié, Seigneur ! hurla-t-il, je ne suis pas un traître !

– Il est trop tard pour ce genre de discours, je vous ai percé à jour depuis près de deux jours maintenant. Mais ne vous inquiétez pas, les traîtres sont tués assez vite. Tout dépend de combien de personnes vous avez mis au courant de notre plan.

Korvi passa du rouge au blanc en un instant.

– Emmenez-le, ajouta l’Eminent à l’intention des gardes.

Il n’y avait plus qu’à espérer que Korvi n’ai pas, en effet, divulguer ce plan audacieux à des gens trop importants. L’objectif était que les soldats l’armée de Kissam prennent un antidote chaque jour que durera le siège de la ville infectée. Si des citoyens tentaient de sortir, ses soldats les intercepteraient et les mettraient à mort sans discuter. Une armée de grande importance serait envoyée à l’embouchure entre le Canyon des Condamnés et les hauts murs Andral et Ramdal pour couper toute fuite. Les Royaumes de Bel-Akhasse et de Thurian seraient encerclés de toutes parts et les habitants mourraient rapidement de la maladie.

L’Eminent Omerith regarda de nouveau la fiole avec satisfaction. Bientôt, l’Empire contrôlerait le monde.



Le Roi de Bel-Akhasse avait eu vent du projet de l’Eminent. Seul un groupe restreint de personnes avait été mis au courant pour ne pas alarmer la population. Maintenant, il ne manquait plus qu’un vaillant groupe de guerriers apparaisse pour voler à leur secours… ou les condamner à une mort certaine.