PARTIE 5 : UN PASSAGE MINUSCULE
Nikoros se leva le lendemain, le dos endolori. Il était persuadé de n’avoir pas bougé cette nuit et ses muscles étaient tétanisés. Cela lui rappelait encore plus fortement sa vieillesse. « Bientôt nous nous reverrons, ma femme. Bientôt. » Il s’étira et s’avança sous le Soleil éblouissant d’Horbeth. Il se reflétait sur la glace et la neige abondante qui recouvrait le sol. Le ciel était d’un bleu revigorant. Cela n’était pas pour lui déplaire.
L’ancien Capitaine marcha pendant une heure parmi les dunes blanches et le vent froid. Il pensait à sa femme, sa fille et son gendre partit en mer. Il déambulait dans un environnement calme, qui n’avait rien à voir avec le chaos de la piraterie. Son esprit aimait ce sentiment de paix mais cherchait l’adrénaline que l’on ressentait lors d’un abordage, lorsque les canons tonnaient, que les coques s’entrechoquaient, entendre les cris des Hommes pris au piège et les hurlements de joie farouches des Sydros. Il était un homme d’action et la passivité n’était pas son genre. « Comment ai-je pu vivre aussi longtemps ? ». Il avait peut-être un destin à accomplir. Mais la vie commençait à fuir son corps vieillissant et il ne tarderait pas à rejoindre sa femme.
Alors qu’il se perdait dans d’anciens souvenirs de batailles, ses pas le menèrent au lac Irina. Il brillait sous le soleil, immense et splendide. De là où Nikoros se tenait, le lac semblait calme, mais il savait qu’à l’intérieur, la vie grouillait furieusement. Il ne s’agissait là que d’une façade, tout comme le cœur du Capitaine bouillonnait mais restait enfermé dans sa frêle enveloppe.
Il prit une grande inspiration, goûtant l’air frais du sud et tentant de dompter son esprit. Mais alors, il entendit un bruit de chute. Quelque chose heurta le sol, suivit d’un « aïe » exaspéré. Le capitaine, pris de curiosité, suivit l’origine du bruit. Il descendit la colline couverte de neige et, après avoir contourné un rocher, s’arrêta devant un homme assis par terre, la tête entre les jambes, une pioche posée à côté de lui. Lorsqu’il releva la tête, Nikoros le reconnut.
- J’étais persuadé que vous partiriez d’ici, maître Vigarro, dit-il en le regardant simplement.
- Je vois que la politesse ne vous étouffe pas, répondit le jeune homme en détournant le regard vers le lac.
- Que faites-vous encore là, Vigarro ?
- Je me dis que si je restais ici, ma peau deviendrait bleue et je saurais me battre comme personne.
- Comme c’est amusant.
Nikoros leva les yeux et étudia la glace que le vagabond humain était en train d’entamer.
- Savez-vous ce qui se trouve derrière cette parois de glace ? questionna le capitaine, sachant très bien que l’homme était au courant.
- Aucune idée, soupira Vigarro, mais peut-être que je trouverai quelqu’un susceptible de m’aider.
- Ne dites pas de bêtises, dit Nikoros en fronçant les sourcils. De toutes façons, vous ne pourrez pas ouvrir ce passage avec votre pioche. Il faut être un cryomancien pour faire coulisser ces portes. Elles sont d’une épaisseur d’un mètre et la glace provient du souffle de Sygnatalos lui-même. Elle est beaucoup plus dure que la glace ordinaire.
- Alors aidez-moi, dit simplement Vigarro en plongeant son regard dans celui du Sydros.
- Pourquoi faites-vous cela, Vigarro ? Puis-je connaître les raisons ?
- C’est une question à laquelle j’aurais aimé répondre hier, mais vous ne m’en avez pas vraiment laissé le temps. (Vigarro se releva, prenant attention de ne pas glisser sur le sol gelé.) C’est une amie d’enfance qui m’a parlé du Cœur. Elle ne cessait jamais de l’évoquer, à chaque fois que je la voyais, elle me disait qu’un jour, elle retrouverait le Cœur et qu’elle le rendrait aux Sydros. Elle disait que ça les sauverait.
- Qui est-elle, cette jeune fille ? questionna le capitaine.
- Une Sydros en exile.
- Elle a dû faire quelque chose de grave pour être exilée. Les Sydros ne sont pas suffisamment rancunier pour envoyer en exile l’un des leurs sans une bonne raison.
- Ce n’est pas elle qui a été exilée, répondit Vigarro. Son père a fomenté une mutinerie, il a été puni et il a emmené sa fille l’accompagner purger sa peine.
- Vous ne l’aimiez pas beaucoup cet homme, je présume ?
- Pas vraiment, mais ce n’est pas lui ma préoccupation.
Nikoros le regarda droit dans les yeux. Le jeune humain ne semblait pas mentir et une étrange conviction brillait dans son regard noir. Mais pourquoi essayer de réaliser le rêve de cette jeune fille ? Où était-elle ?
- Très bien, continua Nikoros, soudain intéressé. Une dernière chose : pourquoi votre amie n’est-elle pas ici ? Pourquoi vous a-t-elle envoyée ?
- Elle ne m’a pas envoyé, s’exclama Vigarro, elle est morte !
Nikoros fut sincèrement peiné d’entendre la réponse du jeune humain. Pas qu’il faisait dans le sentimental, mais Vigarro semblait vouloir cacher sa tristesse derrière un masque de colère qui, bizarrement, ne lui allait pas du tout.
- Je vous présente mes excuses, Vigarro, je l’ignorais.
- Aucune importance, siffla-t-il. Il regarda la paroi de glace, les sourcils froncés et les dents serrées. Mailen voyait des choses en rêve… je veux dire : elle voyait des événements qui se sont passés par la suite. J’ignore si c’est une caractéristique courante chez les Sydros …
- Non, souffla doucement Nikoros.
- … mais ça lui arrivait très régulièrement. Elle ne cessait de me parler de ce Cœur, elle me disait qu’il renfermait une puissance énorme et que son peuple finirait pas s’éteindre si le Cœur n’était pas attisé par leur amour et leurs offrandes. Elle me disait aussi qu’elle connaissait le chemin pour s’y rendre. Elle me l’a dessiné sur une carte.
Vigarro sortit un bout de parchemin de sa sacoche à bandoulière, la déroula et la montra à Nikoros.
- C’est ici, vous voyez ? Sous le lac Irina.
- Ce n’est pas une information que vous m’apprenez, mon garçon.
- D’accord mais retournez le parchemin. Vous reconnaissez ce labyrinthe ?
Nikoros retourna la carte et observa éberlué le labyrinthe dessiné de l’autre côté. Un tas de tunnels permettant d’atteindre la chambre de Sygnatalos.
- Le labyrinthe de Sygna, celui qui a donné son nom à notre capitale.
- Exact. Et sont représentés tous les obstacles apparus après l’explosion survenue lors de la mort du Dragon.
- Vous savez que les tunnels sont presque tous bouchés ? Le labyrinthe à été creusé dans de la roche dure et dense pour que les Sydros ne puissent pas creuser un tunnel droit vers le Dragon. Une autre partie des tunnels sont creusés dans de la glace provenant du souffle de Sygnatalos : impossible que les humains la détruise.
- Je sais tout cela. C’est ce qui a empêché les explorateurs du monde entier de mettre la main dessus. Mais il existe un passage, minuscule, que Mailen a noté sur cette carte. Un homme peut y passer s’il en a le courage. Il s’agit d’un tunnel utilisé par personnes les plus proches du Dragon, différent de celui utilisé par les Sydros venus faire leurs prières à Sygnatalos. Il est plus petit mais plus rapide. Il est difficile à trouver car l’entrée s’est écroulée et que plus personne ne connaît son existence. Mais Mailen l’a vu et m’a indiqué le chemin.
Nikoros écoutait Vigarro en même temps que ses yeux parcouraient la carte. Le jeune humain était d’une grande naïveté de lui donner autant d’information. Un autre que lui, qu’il soit Sydros, Humain ou Elfe l’aurait tué sur le champ et emporté sa carte avec lui. Ou alors serait parti en riant aux éclats. Mais les paroles de Vigarro étaient tintées de vérité. Il connaissait un grand nombre de détails sur la vie passée des Sydros. Il avait en effet entendu parler d’un tunnel inconnu des Sydros. Les plus pieux -il en faisait partie- étaient vaguement au courant mais les autres n’en savaient rien. « D'autant plus que son existence n’avait jamais été prouvée » pensa l’ancien Capitaine.